Lorsqu’on examine la structure des arrêts de cassation rendus par la Cour de cassation, plusieurs différences avec la structure des arrêts de rejets ressortent alors. D’abord, on se rend compte que les arrêts de cassation sont en général plus courts que les arrêts de rejet, du fait notamment que dans les premiers les moyens du pourvoi sont largement développés et que dans les seconds pas du tout. Ensuite, les arrêts de cassation contiennent toujours des visas, alors que ceux de rejet n’en contiennent pas. On peut aussi préciser qu’en général, les arrêts de cassation, du fait qu’ils affirment un principe, une règle générale, ont plus tendance à avoir une grande portée jurisprudentielle que les arrêts de rejet
Les visas
Le visa consiste dans le rappel par les juges du texte légal ou du principe jurisprudentiel qui va être la base sur laquelle ils vont rendre leur décision. Un visa commence toujours par « Vu,… ».
Il y a toujours au moins un visa dans les arrêts de cassation
Exemple: Arrêt n° 627 du 7 décembre 2015 (14-18.435) – Cour de cassation – Assemblée plénière – ECLI:FR:CCASS:2015:AP00627 :
« Vu les articles 2333 du code civil et L. 527-1 du code de commerce, tels qu’ils résultent de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, ratifiée par la loi n° 2007-212 du 20 février 2007 ; »
Le principe général appliqué (le « chapeau »)
Après le visa, on retrouve en général dans un premier attendu, l’énoncé du principe général qui va justifier la cassation que vont rendre les juges. Certains appellent cela un « chapeau ».
Attention, toutefois, il est très fréquent que ce principe général ne soit pas énoncé dès le premier attendu après les visas. En effet, dans de nombreux arrêts, le principe général qui va justifier la décision se trouve dans le dernier attendu. Dans ce cas, l’attendu commencera avec des formulations du type « Qu’en statuant ainsi, alors que… », «Attendu cependant que,… ».
Exemple où le principe général est énoncé dès le début: Arrêt n° 617 du 6 mars 2015 (14-84.339) – Cour de cassation – Assemblée plénière – ECLI:FR:CCASS:2015:AP00617:
« Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles préliminaire et 63-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de loyauté des preuves et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; [les visas]
Attendu que porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de l’autorité publique ; [le principe général, juste après les visas] »
Exemple où le principe général est relégué à la fin: Arrêt n° 627 du 7 décembre 2015 (14-18.435) – Cour de cassation – Assemblée plénière – ECLI:FR:CCASS:2015:AP00627
« Vu les articles 2333 du code civil et L. 527-1 du code de commerce, tels qu’ils résultent de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, ratifiée par la loi n° 2007-212 du 20 février 2007 ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Com., 19 février 2013, pourvoi n° 11-21.763), que la société Recovco Affimet (la société), mise en redressement judiciaire le 19 janvier 2009, a fait l’objet d’un plan de cession puis d’une liquidation judiciaire le 14 septembre 2009 ; que la Bank of London and The Middle East PLC (la banque), qui avait consenti à la société, par acte du 17 décembre 2007, un prêt garanti par un gage sans dépossession portant sur un stock de marchandises et comprenant un pacte commissoire, a résilié le contrat de crédit pour non-paiement des échéances le 9 janvier 2009, notifié à la société la réalisation de son gage le 16 janvier 2009, puis revendiqué le stock constituant l’assiette de son gage le 21 avril 2009 ; que, par ordonnance du 30 octobre 2009, le juge-commissaire a ordonné la restitution à la banque du stock existant à la date du 16 janvier 2009, ou de sa contre-valeur, et a “donné acte” à celle-ci de ce qu’elle était en droit de réclamer le paiement de celui consommé postérieurement à cette date ;
Attendu que, pour confirmer le jugement rejetant le recours contre l’ordonnance du juge-commissaire constatant que la banque était propriétaire des stocks tels que définis au contrat de gage, l’arrêt relève que les parties ont expressément choisi de se placer sous l’empire du gage de droit commun sans dépossession des articles 2333 et suivants du code civil, ce que n’interdit pas l’ordonnance du 23 mars 2006 ; qu’il retient que l’examen du texte ne permet pas d’affirmer la volonté du législateur d’exclure les banques prêtant sur stocks du bénéfice du gage sans dépossession de droit commun ;
Qu’en statuant ainsi, alors que, s’agissant d’un gage portant sur des éléments visés à l’article L. 527-3 du code de commerce et conclu dans le cadre d’une opération de crédit, les parties, dont l’une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession, la cour d’appel a violé les textes susvisés, le premier par fausse application, le second par refus d’application ; »
La décision consacrée par l’arrêt attaqué
On retrouve ici, la décision de l’arrêt attaqué, c’est-à-dire le plus souvent, la décision de la cour d’appel ainsi que le rappel des faits tels qu’appréciés par cette dernière. La décision et le rappel des faits pourront être réunis dans un seul attendu ou séparés dans deux différents attendus.
Ici, la Cour de cassation, reprend les faits tels qu’ils ont été souverainement appréciés par la cour d’appel. La Cour reprend brièvement ces faits et elle ne s’étale pas trop longtemps dessus, contrairement à ce qu’elle fait pour les arrêts de rejet.
Le but est de montrer que les juges du fond ont statué dans un sens contraire au principe général qu’elle énonce.
A noter aussi, qu’ici, on ne développe pas les arguments du pourvoi, ce qui constitue une différence majeure avec les arrêts de rejet.
Exemple: Arrêt n° 627 du 7 décembre 2015 (14-18.435) – Cour de cassation – Assemblée plénière – ECLI:FR:CCASS:2015:AP00627
« Vu les articles 2333 du code civil et L. 527-1 du code de commerce, tels qu’ils résultent de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, ratifiée par la loi n° 2007-212 du 20 février 2007 ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Com., 19 février 2013, pourvoi n° 11-21.763), que la société Recovco Affimet (la société), mise en redressement judiciaire le 19 janvier 2009, a fait l’objet d’un plan de cession puis d’une liquidation judiciaire le 14 septembre 2009 ; que la Bank of London and The Middle East PLC (la banque), qui avait consenti à la société, par acte du 17 décembre 2007, un prêt garanti par un gage sans dépossession portant sur un stock de marchandises et comprenant un pacte commissoire, a résilié le contrat de crédit pour non-paiement des échéances le 9 janvier 2009, notifié à la société la réalisation de son gage le 16 janvier 2009, puis revendiqué le stock constituant l’assiette de son gage le 21 avril 2009 ; que, par ordonnance du 30 octobre 2009, le juge-commissaire a ordonné la restitution à la banque du stock existant à la date du 16 janvier 2009, ou de sa contre-valeur, et a “donné acte” à celle-ci de ce qu’elle était en droit de réclamer le paiement de celui consommé postérieurement à cette date ; [Rappel des faits tels que précisés par la cour d’appel]
Attendu que, pour confirmer le jugement rejetant le recours contre l’ordonnance du juge-commissaire constatant que la banque était propriétaire des stocks tels que définis au contrat de gage, l’arrêt relève que les parties ont expressément choisi de se placer sous l’empire du gage de droit commun sans dépossession des articles 2333 et suivants du code civil, ce que n’interdit pas l’ordonnance du 23 mars 2006 ; qu’il retient que l’examen du texte ne permet pas d’affirmer la volonté du législateur d’exclure les banques prêtant sur stocks du bénéfice du gage sans dépossession de droit commun ; [ décision de la cour d’appel] »
Solution / Motifs
Ici, la Cour de cassation explique pourquoi la décision objet du pourvoi est contraire au principe qu’elle énonce et à la loi.
Exemple: toujours le même arrêt que dans l’exemple précédent
« Qu’en statuant ainsi, alors que, s’agissant d’un gage portant sur des éléments visés à l’article L. 527-3 du code de commerce et conclu dans le cadre d’une opération de crédit, les parties, dont l’une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession, la cour d’appel a violé les textes susvisés, le premier par fausse application, le second par refus d’application ; »
Dispositif
Ici, la Cour de cassation prononce la cassation de l’arrêt objet du pourvoi. Attention toutefois, la cassation peut être totale comme elle peut aussi être partielle, c’est le cas lorsqu’elle fait droit à certaines demandes seulement de l’auteur du pourvoi ou si celui-ci contestait simplement une partie de la décision antérieure.
A noter aussi que dans de très nombreux cas les juges de la Cour de cassation pour des raisons d’opportunité vont décider de ne pas renvoyer l’affaire et vont la trancher eux-mêmes. C’est bien sûr une exception pour ces juges qui ne doivent s’attacher en principe qu’au droit et non au fond.
Exemples
Cassation totale: Arrêt n° 668 du 15 juin 2016 (15-20.022) – Cour de cassation – Première chambre civile – ECLI:FR:CCASS:2016:C100668:
« PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 mars 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ; »
Cassation partielle: Arrêt n° 341 du 6 avril 2016 (15-10.552) – Cour de cassation – Première chambre civile – ECLI:FR:CCASS:2016:C100341
« PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes de la société Picchetti et fils, de MM. B. et M.-X. X… et Mmes Françoise, Valérie et Elodie X…, l’arrêt rendu le 12 novembre 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Bastia ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ; »