image-cour-de-cassation La structure d’un arrêt de la Cour de cassation ne sera pas la même qu’il s’agisse d’arrêts de cassation (arrêts où la Cour va à l’encontre de la décision rendue par les juges du fond et accepte la demande de l’auteur du pourvoi) ou d’arrêts de rejet (arrêts où la Cour va suivre la décision des juges du fond et rejeter la demande de l’auteur du pourvoi). Nous allons aujourd’hui nous concentrer sur la structure des arrêts de rejet de la Cour de cassation et nous verrons dans un article ultérieur la structure des arrêts de cassation.

Absence de visas

En général, dans les arrêts de rejets, il n’y a pas de visa qui est l’énoncé du texte de loi ou du principe général utilisé par la Cour pour rendre sa décision. En revanche, on retrouve au moins un visa au début des arrêts de cassation.

Un raisonnement en trois étapes pour chaque moyen

Pour ces arrêts de rejet, la Cour va en général ponctuer son raisonnement avec trois attendus pour chaque moyen :

Le premier attendu : rappels des faits et de la procédure

Dans ce premier attendu, la Cour va rappeler les faits à l’origine de l’affaire tels qu’ils ont été précisés par la Cour d’appel (la Cour de cassation est juge de droit et non juge du fond, elle n’a pas à apprécier les faits). Elle va aussi donner un exposé de la procédure et de la solution retenue par la Cour d’appel. Le deuxième attendu : les arguments du pourvoi contre la décision rendue par la Cour d’appel Ce deuxième attendu commence généralement des manières suivantes : « Attendu, qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir… »; « Attendu, qu’il est reproché à l’arrêt… ». Ensuite, les arguments du pourvoi contre la décision de la cour d’appel sont largement développés. A noter que dans les arrêts de cassation, les arguments du pourvoi ne sont pas du tout développés.

Le troisième attendu : le rejet du moyen invoqué

Cet attendu commence généralement par « Mais attendu que, … ». Dans cet attendu, la Cour rejette le moyen en validant le raisonnement de la Cour d’appel. Ensuite, le dispositif se limite à rejeter le pourvoi NB: Dans les arrêts où la Cour doit répondre à plusieurs moyens, elle va appliquer ce raisonnement en trois étapes pour le premier moyen. Ensuite, le plus souvent, pour chacun des autres moyens, elle utilisera deux attendus : celui développant le moyen contre le pourvoi et celui rejetant le moyen (voir l’arrêt Société café Jacques Vabre de 1973 repris plus bas pour en avoir une illustration). Elle ne reprend pas les faits et la procédure, car, ceux-ci ont été détaillés lors de l’analyse du premier moyen. Elle, ne le fera que dans le cas où des faits non développés lors de l’analyse du premier moyen n’ont pas étés précisés et qui sont spécifiques au nouveau moyen à analyser.

Prenons un exemple

Arrêt n° 623 du 23 octobre 2015 (13-25.279) – Cour de cassation – Assemblée plénière – ECLI:FR:CCASS:2015:AP00623 Demandeur(s) : Mme Guylène X… ; et autres Défendeur(s) : société Afone monétics, anciennement dénommée Carte et services

Sur le moyen unique

[Pas de visas] Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 septembre 2013) [la décision rendue au fond par la Cour d’appel ], rendu sur renvoi après cassation (Soc., 26 septembre 2012, pourvoi n° 11-20.452) [Ici une particularité sur la procédure: la Cour de cassation avait déjà été saisie et elle avait fait droit aux demandes des auteurs du pourvoi et avait renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris. La Cour d’appel rend une décision qui entraîne un nouveau pourvoi en cassation, d’où la formation en Assemblée plénière de la Cour de cassation ici], que Mmes X… et Z… ainsi que M. Y…, salariés de la société Carte et services devenue Afone monétics (l’employeur), employés au sein de l’établissement de Rungis conformément aux stipulations de leur contrat de travail, ont été informés le 13 février 2007 qu’un projet de restructuration interne entraînerait leur mutation dans des locaux sis 14 rue Lincoln à Paris (8e) à compter du 19 mars 2007 ; que les salariés ont refusé de rejoindre ce nouveau lieu de travail, estimant qu’il s’agissait d’une modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail qui ne pouvait leur être imposée sans leur accord ; qu’ayant été licenciés pour faute grave le 1er juin 2007 pour avoir refusé de se présenter à leur nouveau poste à Paris et persisté à se présenter au siège de Rungis [résumé des faits], ils ont saisi la juridiction prud’homale pour contester le bien-fondé du licenciement [Début de l’action en justice, élément déclencheur de la procédure. Le tribunal de premier degré est donc ici le Conseil des Prud’hommes]; Attendu que les salariés font grief à l’arrêt [Les auteurs du pourvoi qui contestent la décision de la Cour d’appel] de rejeter l’ensemble de leurs demandes, alors, selon le moyen : [Les arguments des auteurs du pourvoi contre la décision de la Cour d’appel:] 1°/ qu’aux termes de l’article 3 de l’avenant « Mensuels » du 2 mai 1979 à la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne, toute modification apportée à l’établissement dans lequel l’emploi est exercé, qui doit faire l’objet d’une notification préalable écrite, est considérée, dans le cas où elle n’est pas acceptée par le salarié, comme une rupture du contrat de travail du fait de l’employeur et réglée comme telle ; que sauf stipulations plus favorables, ces dispositions se substituent à celles du contrat de travail relativement au lieu de travail ; qu’en l’espèce il est constant que les salariés, employés de la société Carte et services, relevant de cette convention collective, ont refusé de rejoindre le nouveau lieu de travail dès lors qu’il s’agissait d’une modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail qui ne pouvait leur être imposée sans leur accord ; que le licenciement prononcé à leur encontre 1er juin 2007, pour avoir refusé de se présenter à leur nouveau poste à Paris et persisté à se présenter au siège de Rungis, se trouvait dès lors imputable à l’employeur et dénué de cause réelle et sérieuse ; qu’en disant le contraire, la cour d’appel a violé ladite disposition de la convention collective applicable, ensemble l’article L. 2254-1 du code du travail et l’article 1134 du code civil ; 2°/ qu’aux termes de l’article 3 de l’avenant « Mensuels » du 2 mai 1979 à la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne, toute modification apportée à l’établissement dans lequel l’emploi est exercé, qui doit faire l’objet d’une notification préalable écrite, est considérée, dans le cas où elle n’est pas acceptée par le salarié, comme une rupture du contrat de travail du fait de l’employeur et réglée comme telle ; que, sauf stipulations plus favorables, ces dispositions se substituent à celles du contrat de travail relativement au lieu de travail ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que « d’une part, le lieu de travail peut être contractualisé par les parties si telle est leur commune intention clairement exprimée en ce sens ; d’autre part, que si la modification envisagée du lieu de travail -préalablement contractualisé- par l’employeur n’est pas acceptée par le salarié, cette divergence maintenue entre les parties ne pourra que se conclure par « une rupture de contrat de travail du fait de l’employeur et réglée comme telle » ; qu’en considérant néanmoins qu’il s’en déduisait que « dans pareille hypothèse, l’employeur doit prendre l’initiative de la rupture du contrat de travail en engageant une procédure de licenciement, sans qu’il soit permis à ce stade de lui imputer par un effet automatique la responsabilité de cette même rupture en considérant a priori injustifié le licenciement qu’il viendrait à notifier au salarié suite à son refus de changer d’affectation géographique », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé ladite disposition de la convention collective applicable, ensemble les articles L. 1231-1, L. 1232-1 et L. 2254-1 du code du travail et l’article 1134 du code civil ; 3°/ que le seul refus d’un salarié d’accepter une modification de ses conditions de travail, s’il rend son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne constitue pas à lui seul une faute grave ; qu’en considérant que le changement de lieu de travail de Rungis à Paris constituait un changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur et que le refus des salariés, fut-il réitéré et persistant, de rejoindre leur nouveau site constituait une faute grave, justifiant leur licenciement sans caractériser ladite faute grave, la cour d’appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ; Mais attendu, d’abord, selon l’article 3 de l’avenant “Mensuels” du 2 mai 1979 à la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne, que toute modification de caractère individuel apportée à l’établissement dans lequel l’emploi est exercé doit faire préalablement l’objet d’une notification écrite, et que, dans le cas où cette modification ne serait pas acceptée par le salarié, elle serait considérée comme une rupture de contrat de travail du fait de l’employeur et réglée comme telle ; que la cour d’appel a exactement énoncé que ces dispositions conventionnelles ne confèrent pas au lieu de travail un caractère contractuel et signifient seulement qu’en cas de non-acceptation par le salarié de la modification envisagée du lieu de travail, l’employeur qui n’entend pas renoncer à la modification doit prendre l’initiative de la rupture du contrat de travail en engageant une procédure de licenciement ; [Réponse au moyen du pourvoi. Ce sont les motifs du rejet. Ici, petite particularité, car les motifs du rejet sont séparés en deux parties] Attendu, ensuite, qu’ayant constaté que, malgré le respect par l’employeur d’un délai de prévenance suffisant pour permettre aux salariés, liés par une clause de mobilité, de s’organiser, ces derniers avaient persisté dans une attitude d’obstruction consistant à se présenter jusqu’au mois de mai 2007, de manière systématique, sur leur ancien lieu de travail de Rungis, la cour d’appel a pu décider qu’un tel refus, pour la justification duquel aucune raison légitime n’était avancée, caractérisait une faute grave rendant impossible la poursuite de leur relation contractuelle de travail ; [Deuxième partie des motifs de rejet] D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; [Rejet du moyen]

PAR CES MOTIFS

REJETTE le pourvoi ; [Le dispositif: rejet du pourvoi]
  • Président : Mme Flise, président doyen faisant fonction de premier président
  • Rapporteur : Mme Depommier
  • Avocat général : Mme Courcol-Bouchard
  • Avocat(s) : SCP Tiffreau, Corlay et Marlange ; SCP Célice, Blancpain et Soltner

Quelques remarques supplémentaires

Les arrêts de rejet de la Cour de cassation ont une structure qui en générale est celle qu’on vient de décrire. Cependant, il se peut que cela ne corresponde pas totalement à cela. En effet, il existe beaucoup de variantes, mais ces variantes ressemblent beaucoup à cette structure de base. Déjà dans l’arrêt d’exemple, on a vu qu’il y avait 4 attendus, car la réponse au moyen a été séparée en deux. Ensuite, il arrive souvent que le rappel des faits et de la procédure soient réunis en un seul attendu avec les arguments du pourvoi. C’est-à-dire, qu’au lieu d’avoir un attendu qui développe les faits et la procédure puis un attendu qui détaille les arguments du pourvoi, on en aura un seul. Exemple: Arrêt n° 629 du 22 juillet avril 2016 (16-80.133) – Assemblée plénière – Cour de cassation – ECLI:FR:CCASS:2016:AP00629 Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt d’ordonner son renvoi devant la Cour de justice de la République, du chef d’infraction à l’article 432-16 du code pénal, alors, selon le moyen, que l’infraction prévue à l’article 432-16 du code pénal a pour condition préalable l’existence d’un détournement de fonds ; que le versement de fonds en exécution d’une décision judiciaire ou arbitrale exécutoire, fût-elle erronée ou infondée, ne constitue pas un détournement de fonds ; que seul le constat d’une fraude ayant vicié la décision peut conférer à cette exécution le caractère d’un détournement ; que lorsque des poursuites pénales sont engagées pour déterminer l’existence éventuelle d’une telle fraude, la condition préalable de l’article 432-16 du code pénal ne peut, tant que ces poursuites n’ont pas été jugées ou abandonnées, être retenue par une autre juridiction à peine de risque de contrariété de décisions ; qu’en l’espèce, la commission d’instruction a constaté que des poursuites pénales étaient en cours devant les juridictions de droit commun pour déterminer si la sentence arbitrale du 7 juillet 2008 et son exécution sont constitutives d’un détournement de fonds ; que pour renvoyer néanmoins Mme X… devant la Cour de justice de la République du chef de négligence par un dépositaire de l’autorité publique dont est résulté un détournement de fonds publics par un tiers, la commission d’instruction s’est bornée à relever le caractère « indu » de l’octroi des condamnations prononcées par le tribunal arbitral ; que ce caractère « indu » de la décision arbitrale ne pouvait pourtant suffire à faire de son exécution un détournement des fonds versés et que l’infraction prévue à l’article 432-16 du code pénal se trouve donc dans la dépendance de la qualification pénale des versements effectués en exécution de la sentence, qualification faisant précisément l’objet de l’instruction en cours ; […] S’agissant de la portée des arrêts de rejet de la Cour de cassation, il est évident qu’ils ont beaucoup moins tendance à faire jurisprudence que les arrêts de cassation. Cela ne veut pourtant pas dire que les arrêts de rejets ne puissent pas avoir une forte portée jurisprudentielle, notamment lorsqu’elles énoncent un nouveau principe pour rejeter le pourvoi. Dans un tel cas, le nouveau principe est énoncé dans le troisième attendu, celui où la Cour rejette le moyen (celui qui commence par « Mais attendu que…. ») Exemple : extrait du célèbre arrêt société café Jacques Vabre qui reconnaît la supériorité des normes communautaires sur la loi interne même postérieure (Cour de Cassation, Chambre MIXTE, du 24 mai 1975, 73-13.556, Publié au bulletin)

Sur le premier moyen pris en ses deux branches

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt Defere (paris, 7 juillet 1973) que, du 5 janvier 1967 au 5 juillet 1971, la société cafés Jacques Vabre (société Vabre) a importe des pays-bas, Etat membre de la communauté économique européenne, certaines quantités de cafe soluble en vue de leur mise a la consommation en France; que le dédouanement de ces marchandises a été opéré par la société J. Wiegel et c. (société Weigel), commissionnaire en douane; qu’a l’occasion de chacune de ces importations, la société Weigel a paye a l’administration des douanes la taxe intérieure de consommation prévue, pour ces marchandises, par la position ex 21-02 du tableau a de l’article 265 du code des douanes; que, prétendant qu’en violation de l’article 95 du traite du 25 mars 1957 instituant la communauté économique européenne, lesdites marchandises avaient ainsi subi une imposition supérieure a celle qui était appliquée aux cafés solubles fabriques en France a partir du cafe vert en vue de leur consommation dans ce pays, les deux sociétés ont assigne l’administration en vue d’obtenir, pour la société Wiegel, la restitution du montant des taxes perçues et, pour la société Vabre, l’indemnisation du préjudice qu’elle prétendait avoir subi du fait de la privation des fonds verses au titre de ladite taxe; Attendu qu’il est reproche a la cour d’appel d’avoir accueilli ces demandes en leur principe alors, selon le pourvoi, d’une part, que la compétence judiciaire en matière de droits de douanes est limitée aux litiges concernant l’existence légale, la determination de l’assiette et le recouvrement de l’impôt; qu’elle ne peut être étendue aux contestations concernant le prétendu caractère protectionniste de l’impôt qui supposent une appréciation de l’imposition du point de vue de la réglementation du commerce extérieur, qui ressortit a la compétence exclusive du juge administratif; et alors, d’autre part, que l’article 95 du traite du 25 mars 1957, invoque par les demandeurs a l’action, ne vise pas une imposition déterminée, mais caractérise le régime discriminatoire en fonction de l’ensemble des « impositions intérieures de quelque nature qu’elles soient « , en postulant, par la même, une appréciation de l’incidence économique de la totalité des charges fiscales et parafiscales susceptibles de grever le produit litigieux, qui excède manifestement les limites du contentieux douanier et donc la compétence du juge civil; Mais attendu que l’incompétence des tribunaux judiciaires, au profit du juge administratif, n’a pas été invoquée devant les juges du fond; qu’aux termes de l’article 14 du décret du 20 juillet 1972, les parties ne peuvent soulever les exceptions d’incompétence qu’avant toutes autres exceptions et défenses; qu’il en est ainsi alors même que les règles de compétence seraient d’ordre public; d’ou il suit que le moyen est irrecevable en l’une et l’autre de ses branches. Sur le deuxième moyen Attendu qu’il est de plus fait grief a l’arrêt d’avoir déclaré illégale la taxe intérieure de consommation prévue par l’article 265 du code des douanes par suite de son incompatibilité avec les dispositions de l’article 95 du traite du 24 mars 1957, au motif que celui-ci, en vertu de l’article 55 de la constitution, a une autorité supérieure a celle de la loi interne, même postérieure, alors, selon le pourvoi, que s’il appartient au juge fiscal. D’apprécier la légalité des textes réglementaires instituant un impôt litigieux, il ne saurait cependant, sans excéder ses pouvoirs, écarter l’application d’une loi interne sous prétexte qu’elle revêtirait un caractère inconstitutionnel; que l’ensemble des dispositions de l’article 265 du code des douanes a été édicté par la loi du 14 décembre 1966 qui leur a conféré l’autorité absolue qui s’attache aux dispositions législatives et qui s’impose a toute juridiction française; Mais attendu que le traite du 25 mars 1957, qui, en vertu de l’article susvisé de la constitution, a une autorité supérieure a celle des lois, institue un ordre juridique propre intégré a celui des Etats membres; qu’en raison de cette spécificité, l’ordre juridique qu’il a créé est directement applicable aux ressortissants de ces Etats et s’impose a leurs juridictions; que, des lors, c’est a bon droit, et sans excéder ses pouvoirs, que la cour d’appel a décidé que l’article 95 du traite devait être applique en l’espèce, a l’exclusion de l’article 265 du code des douanes, bien que ce dernier texte fut postérieur; d’ou il suit que le moyen est mal fondé;

Par ces motifs

Rejette le pourvoi forme contre l’arrêt rendu le 7 juillet 1973 par la cour d’appel de paris (1. chambre).